"Das Brab"
Julie Michel 2012

Les pièces de Pia Rondé s’inscrivent dans un espace non-verbal, par contraste - mais pour aller vers - une entrée par les mots comme entrée en matière pour dessiner les contours du territoire qu’elles occupent. Des « titres » qui déjà font surgir en filigrane les préoccupations qui hantent le travail de gravure, de dessin et de sculpture. Un vocabulaire qui avant même le voir contient une capacité puissante d’abstraction. Se situant dans un espace projectif, éminemment lié à l’imaginaire, matière insaisissable ou espaces utopiques, une entrée par les mots en écho avec une poésie du réel, toujours en questionnement, en devenir, à l’image d’un travail qui tend précisément à embrasser l’invisible. Les oeuvres de Pia Rondé peuvent être perçues comme les reflets de ce qu’il y aurait de plus immatériel en nous. En nous, c’est à dire en l’être vivant le monde, l’occupant, le « délirant ».

À l’image des réserves - ces blancs, respirations et espaces à investir par le regardeur, projection possible pour son propre imaginaire - dont recourt le travail de gravure, les sans-titres guettent. Il ne s’agit pas d’incapacité à nommer l’image mais plutôt de laisser place à son pouvoir de toucher ce que le langage maintient parfois à distance. Matière à réflexion non dirigée, lieu de mystère, de silence rétinien. La réserve est récurrente et renvoie aux écrans, ces surfaces blanches, motifs que l’on retrouve dans les dessins. Réserves généreuses qui donnent libre cours à l’imbrication des espaces entre eux, du dessin à la feuille, de l’observateur au dessin. Mouvements non-linéaires dans lesquels surgissent des espaces d’entre-deux, en attente de projections.

Graver, de l’allemand graben, creuser, mot dont les racines sont communes avec celle de das Grab, la tombe. La gravure est pénétrée, empêtrée même par le temps. Le dessin monte en surface, étape après étape, le métal est mordu de plans en plans. Plus le trait est profond plus il est noir. Graver et creuser, c’est produire une opération de retournement, d’inversion. C’est penser et travailler le lieu de l’envers. Ce lieu du contraire mais aussi de l’inséparable. Graver, c’est projeter en amont une forme qui ne deviendra visible qu’à la fin du processus d’impression.

Julie Michel