Paysage Commun
Mathieu Gervais 2012

Le travail en commun de Pia Rondé et de Fabien Saleil s’élabore comme un territoire partagé. La recherche des deux artistes ne s’y épuise pas mais au contraire s’y ressource. Élément d’un cheminement côte-à-côte, lieu de respiration pour des univers personnels qui se rencontrent ici.
Comment appréhender ce paysage situé non à la frontière de leurs travaux mais dans une marge, comme une respiration dans leurs questionnements réciproques ?

Ces deux artistes se distinguent par la prise en compte permanente de leur geste, de leur statut de créateur. Il ne s’agit jamais chez eux de prendre ce statut comme un acquis, une posture, mais de l’interroger, d’en rendre palpable le caractère mystérieux et fragile : il n’y a pas un artiste objectif, mais un sujet créant.

Dans ses gravures, Pia Rondé donne à voir l’architecture de la création, non pas comme une projection mais au contraire comme une archéologie, découverte de la forme en-deçà de la forme, de la création dans une mise en abîme du geste créatif. Il s’agit de creuser, à l’instar du geste du graveur, à l’intérieur de la forme pour en faire ressortir une image. Les sillons les plus fins de ses gravures recèlent des motifs et des détails qui déjà sont vie. Ils s’élargissent et se teintent pour former un tout cohérent, simple dans sa complexité, presque biologique.
Dans ses photographies, Fabien Saleil interroge le cadre comme condition d’appréhension d’un territoire. Les photographies prises depuis un bunker transformé en sténopé, rendent compte aussi bien de l’irréductible majesté de la montagne que de l’aspect autoritaire, « militaire », de la prise de vue. L’artiste joue de cette ambiguïté toute romantique : mon oeil ne peut pas voir la montagne pour ce qu’elle est, a fortiori depuis le fortin où le regard est dirigé de manière martiale. Pourtant, ma perception, même contrainte, fait partie de la même réalité que la montagne. Réalité que ma conscience ne fait que deviner mais que mes sens rendent manifeste.
Leur paysage commun est donc un paysage imaginaire à propos duquel nous nous interrogeons avec eux : existe-t-il avant le geste artistique ? Cette question est un programme. Il s’agit dans un même mouvement de créer en gravant, de créer en cadrant. Dit autrement, d’élever en creusant et d’ouvrir en fermant.

De là, s’élabore un langage commun. A priori, on relève une appétence partagée pour les anfractuosités, les minéraux, les trous, les monticules, les grottes, les montagnes, la végétation et l’eau, autant d’éléments qui naturellement invitent à l’investigation artistique.
A posteriori, il s’agit de rendre compte de la présence de l’artiste, de son appréhension sensuelle, de son souffle dans des images. Tout est déjà là, dans la nature rendue tangible par les sens, et pourtant l’image créée est autre. Cette quête honnête du devenir artistique, peut être symboliquement décrite comme une entreprise d’arpentage. Un arpentage non-systématique, plutôt une déambulation précise, menée de concert, où se partagent et s’élaborent des techniques inédites, des images surprenantes.

Qu’il s’agisse de retravailler des photographies de concrétions calcaires découvertes ensemble, en les révélant directement sur du papier ; ou alors de construire par touches singulières une sculpture éphémère photographiée et imprimée sur du verre, on retrouve les grandes lignes de ce programme commun. La matière est interrogée de manière physique : pierre, papier, verre, et le geste est mis en abîme dans son affirmation visible, dans la trace qu’il laisse. La création commune de Pia Rondé et Fabien Saleil, se déploie en fait comme une expérience jouissive de médiation entre la réalité et l’image. En assumant le déterminisme de leur regard, ils se donnent les moyens de l’interroger et donc de rendre visible le mystère de la création artistique : creuser et cadrer comme moyens d’élever et d’ouvrir.