Voir et creuser
Mathieu Gervais 2013

La forme sous l'image, l'image sous la forme. A découvrir ce travail, nous sommes invités à une exploration quasi-archéologique sur le statut de l'image et au-delà même, peut-être, de l'art.
Il s'agit de creuser, à l'instar du geste du graveur, à l'intérieur de la forme pour en faire ressortir une image. Ce faisant, ce geste s'apparente à une fouille en ce qu'il est déjà une fin en soi et pas seulement un moyen destiné à faire apparaître une image.

Quel rapport entre ces formes géométriques, ces squelettes émaillés et ces gravures ? Bien sûr, chacun y trouvera un sens, mais on peut sans doute voir dans ces multiples et riches productions un même questionnement sur l'architecture fondamentale de l'objet d'art. Voir derrière, voir dessous, voir avant.

La démarche artistique fait naître, elle est création, mais à partir de quoi ? A partir d'où ? Voilà les interrogations fondamentales auxquelles se confronte le travail de Pia Rondé. Ainsi, elle construit son œuvre comme une architecture de la création. Les sillons les plus fins de ses gravures recèlent des formes et des détails qui déjà sont vie. Ils s'élargissent et se teintent pour former un tout cohérent mais simple dans sa complexité, presque biologique.

A l'inverse, les sculptures géométriques partent de formes droites et nettes mais accèdent au statut d’œuvre : comment ? Les crânes émaillés, travaillés, ouvragés nous donnent peut-être une clef générale, dans la mise en scène primaire qu'ils entreprennent d'une revitalisation de la forme morte par l'art. La création devient science mystérieuse, alchimie qui donne vie. Et alors, la simplicité apparente de la géométrie est retournée, elle questionne le statut artificiel et abstrait de la ligne droite : vivante ou morte ? Vivante ! Vivante, car création, car dépouillement de la structure de façon symétrique à l'habillement de l'ossature (dans le cas du travail à partir de squelettes).

En s'interrogeant ainsi, de façon aussi vaste et en même temps précise et hyper-cohérente, l'artiste déploie son univers de façon définitivement ouverte. Il ne s'agit pas de poser une image où de découvrir une forme mais d'assumer le statut particulier et troublant du geste artistique. Ainsi, elle se définit non dans une posture mais bien dans une situation précise : entre-deux qui fait naître la forme et l'image en tant que deux pôles qui se reflètent grâce au geste de l'artiste. La mise en relation de ces deux pôles constitue une mise en abîme magistrale qui gagne jusqu'à la définition de l'artiste : archéologue de sa propre création, architecte de sa propre archéologie.

On est donc saisi par l'étonnante simplicité qui se dégage de ce jeu de miroir. Sans qu'on n'y prête attention, sans effort, Pia Rondé nous guide avec une grande sensibilité dans un monde étonnamment doux. « Étonnamment », car c'est un monde dense, peuplé, complexe, où s'entrecroisent des significations multiples ayant chacune leur propre échelle. De cet aspect compact de son matériau, l'artiste fait naître un sentiment de légèreté et d'évidence qui permet à l'imagination de se déployer d'une manière toute sensuelle.

Cette recherche travaille le mystère du geste créateur dans un respect pour le créé. Modestement, elle ne semble se nourrir que de sa propre nécessité et en cela enrichit nos imaginaires de façon généreuse.