Oeuvres au noir
Clara Guislain 2014

«Produire de faux jours pour ne pas prétendre produire de la vraisemblance». Paul Virilio

Investissant les marges poreuses d’incertitude entre la photographie, le dessin, la gravure et la peinture, les images de Pia Rondé et Fabien Saleil pourraient à première vue être qualifiées d’ « oeuvres au noir ». D’abord respectivement tournés vers la gravure et la sculpture, leur travail commun, centré autour de la pratique du sténopé, articule une réflexion sur les techniques de reproduction, de transfert, d’altération chimique de la perception par l’image. Portées à un point d’interférence entre espace mental et espace tangible, image et sculpture, leur travail révèle un intérêt pour les effets à la fois révélateurs et corrosifs du temps et de la lumière, pour la dramaturgie rituelle de l’espace du regard, comme pour la chorégraphie cinématique des ombres. Qu’elles prélèvent leur motifs dans la complexité abstraite et sinueuse des processus naturels, ou qu’elles reprogramment le réel dans d’étranges mise-en-scènes rituelles et éphémères, les images de Pia Rondé et Fabien Saleil demeurent pourtant souvent sans référent. Bien qu’elles soient techniquement liées à la question de la duplication, de l’archive, et de l’empreinte, elles ne documentent souvent que leur propre processus d’éclosion et d’extinction. La circularité insulaire de l’image et à travers elle du regard, renvoie aussi aux conditions matérielles et « corporelles » de la prise de vue, les boites noiresconstruites par les artistes prenant les dimensions de micro-architectures, sorte d’atelier temporaire évoquant l’enceinte fortifiée du regard. Le dispositif engageant l’assimilation du corps à l’appareil, permet aussi une maîtrise directe du processus d’apparition de l’image, comme de la modulation de ses accidents. Aussi, l’enchevêtrement des techniques employées, des opérations de transfert et d’interférence ( les artistes faisant parfois bouger les lignes de l’émulsion photographique avec leur doigts ), tend à éteindre la connexion optique de l’image avec sa source au moment même de la prise de vue. Les artistes parlant ainsi de perception en « basse définition » et d’« appauvrissement » de la qualité informative du réel par son altération par l’image. Investissant la tension entre image et sculpture, À l’ombre d’une architecture incertaine met en scène une structure fantôme évoquant l’épanouissement germinal d’ondes lumineuses. Cette sculpture fait déjà « image », au sens où elle a été programmée pour n’exister que durant le temps d’insolation, littéralement brûlée ensuite par les artistes. Jouant tour tour sur la métaphore de la caverne, du simulacre et l’aveuglement ces images documentent à la fois une disparition tout en la retardant.À son tour, l’image photographique tirée sur verre regagne une dimension sculpturale, la matérialité lourde de l’image, évoque aussi l’ampleur de son dispositif de prise de vue, le travail laborieux du transfert et les opérations de reconstitution que sa forme unitaire ont nécessité. Construite en relation avec son « positif », Matrice amorce la tentative d’une respatialisation des différentes strates de constructions de l’image, à la fois sculpture autonome et outil conservation des négatifs, résidu diffracté et germe de l’image.