Catastrophe,
Léa Bismuth, septembre 2017
« Cet objet, chaos de lumière et d’ombre, est catastrophe. Je l’aperçois comme objet, ma pensée, cependant, le forme à son image, en même temps qu’il est son reflet » : cette phrase guide l’œil observant un paysage éclaté et ne trouvant plus de repères, face à une perspective fragmentée et néanmoins savamment agencée, comme peuvent l’être, en noir et blanc, certains songes s’écrivant au fil des images qui s’enchâssent. Si le terme de Catastrophe — emprunté à Georges Bataille, il donne son titre à cette installation sculpturale et photographique, à la fois au sol et au mur, en verre et en acier — est ici au plus juste, c’est qu’il a trait à ce qui se produit de manière intempestive et brutale, un pur événement, porteur conjointement de vision et de destruction. Mais, s’il y a quelque chose de la ruine ou du drame dans cette composition accidentée et labyrinthique, il y a aussi un certain ordre régi par des forces souterraines, celles auxquelles Pia Rondé et Fabien Saleil sont sensibles, à l’écoute des images qu’ils collectent en photographie, pour les faire ressurgir sur des plaques de verre sensibilisées. Comme l’œil s’habituant progressivement à l’obscurité, il découvre là des indices reconnaissables, dans cette complexité picturale : un soleil noir, des arbres brûlés aux branches calcinées dans un désert de cendre, des concrétions rocheuses, ou même un océan infiniment parcellaire. Le minéral et le végétal laissent aussi la place à l’animal, symbolique et effrayant, à l’instar d’une chauve-souris dont la course nocturne semble avoir été brisée en plein élan. L’alliance de la lumière et de l’obscurité s’impose : l’image est prise dans le mouvement dialectique de sa propre disparition ; et la nuit des apparitions photographiques en témoigne. C’est pourquoi des filaments d’argenture, des bouts d’éblouissement, miroitent à la surface, pour nous rappeler que la photographie, dans sa chimie primitive (ses sels d’argent), a toujours été un processus de révélation, de latence et de fixation.
Au sol, comme souvent chez ces artistes, la rigueur du quadrillage et des découpes architecturales nous détourne un instant de la profusion formelle, mais cela n’a qu’un temps, car c’est d’une puissance organique, charnelle et impulsive, que les images sont chargées. Il s’agit d’une nuit originelle, en étroit dialogue avec les profondeurs du temps humain et celui de l’art. Tout nous ramène à Lascaux, mais de manière plus générale, aux grottes et autres cavernes, territoires dans lesquels on peut encore puiser, de manière concrète, archéologique, ou encore rituelle. « Nous cherchons le dessous, et si, à la surface, nous découpons des zones plus ou moins noires, en un dégradé de gris, c’est pour mieux découvrir quelque chose d’à peine visible, d’indiscernable, comme les entrailles de la terre », expliquent les artistes. Dans cette perspective, il y a aussi le lieu où l’homme et l’animal communiquent : cela peut s’appeler sacrifice. Ainsi, Pia Rondé et Fabien Saleil vitrifient un crâne animal (celui d’un cochon tué de manière rituelle). Cette vitrification du crâne, cuit à très haute température, pendant plusieurs heures dans un four à verre, et selon un procédé technique très périlleux est à la mesure de l’intensité de la démarche. La tête de l’animal est pure présence, pure dépense.