Menagerie de verre et autres fantômes
Texte de Frederic Emprou
Conjuguant esthétique du fragment et de la circularité, les productions de Pia Ronde et de Fabien Saleil procèdent par superpositions et collages, création de nouveaux espaces ou paysages augmentés, par le biais d'installations, dessins et sculptures. Parce que celles-ci mêlent topographie et architecture, geste minimale ou conceptuelle, c'est bien l'idée de plan et d'épaisseurs de l'image que le duo d'artistes interroge au travers de compositions et montages aux factures cliniques qui multiplient les effets de distanciation. Si pour Pia Ronde et Fabien Saleil, la question consiste à « cadrer un imaginaire »1 comme à orchestrer un travail sur la découpe d'un volume ou d'une représentation en deux dimensions, il s'agit toujours d'un jeu où s'opèrent dédoublements, lignes de fuite ou horizons gigognes : « le miroir, pour nous, c'est la présence de l'image à l'intérieur du dessin ».2.
Optiques en échos, structures abstraites en archipels ou géométries modulaires, camera obscura ou réminiscences de tracés constructivistes qui évoquent le Bauhaus, les pièces du duo empruntent au motif du labyrinthe comme à l'usage de différentes techniques qui rappelle le vocabulaire de l'alchimie. La pratique de Pia Ronde et de Fabien Saleil prend forme dans l'investigation de nombreux savoirs faire tels l'eau forte ou la photographie, et va de pair avec une attitude empirique et expérimentale, qui recherche accidents ou dérèglements dans le traitement des matières. En s'intéressant à la mutation de l'image et de ses statuts, ses matérialités potentielles et érotiques ainsi que sa capture au sens photographique du terme, les deux artistes n'ont de cesse d'enquêter sur des espaces intermédiaires et utopiques ou des états narratifs en suspension.
Pour leur exposition à la galerie Valeria Cetraro, Pia Ronde et Fabien Saleil présentent une série inédite et intitulée Cryptides qui réunit au travers d'un accrochage éclaté, combinatoires et symboliques, un ensemble d'objets et de signes hétérogènes. Littéralement, animal légendaire dont on suppose l'existence, le terme cryptide renvoie à la figure animale et à la relique qui alterne ici entre mises à plat et sculptures dans l'espace, visions spectrales et statuaire totémique en verre soufflé. A l'image de la série des Chimères et des cobras qui tiennent de la créature hybride et de l'incarnation fantasmagorique, Cryptides participe d'une exploration de dimensions à la fois anthropologiques et intérieures, du domaine de l'inconscient et de la mémoire, de phénomènes d'apparition et de disparition, à l'instar de la photographie ou de la time capsule.
A la manière du Mememto mori et par cette façon sensitive d'amalgamer les éléments, les ornements composites de Pia Ronde et de Fabien Saleil, tour à tour, moules et moulages, empreintes et masques, déclinent bestiaire et préciosité domestique, décor spirite et inquiétante étrangeté.
Comme un regard porté et une réflexion qui est donné à voir au spectateur, révélant les questions de présence et d'absence, de la mort et d'une certaine fixité du temps, leurs pièces, élaborés au moyen d'une collecte de momies d'animaux glanées les artistes, n'ont de cesse de tisser des liens entre vivant, données animistes et une certaine mystique de l'homme dans le monde.
Si selon la phrase de Moholy-Nagy, « photographier signifie écrire, dessiner avec la lumière... »3, les productions de Pia Ronde et de Fabien Saleil offrent, sur le mode de l'écran, du cliché ou du tableau, trames et prismes à une poésie du perceptif. A la croisée des notions d'organique de la matière et de l'image, les œuvres de Pia Ronde et de Fabien Saleil en proposent des versions aux perspectives graphiques, chromatiques et stylisées, qui constituent autant de dessins dans l'espace, dans lesquels nous entrons. Avec notre œil pour miroir
1 et 2 Topologie d’un imaginaire : entretien avec Pia Rondé et Fabien Saleil par Lison Noël et Émeline Jaret, Paris, 11 décembre 2017.
3 in Nouvelles Méthodes en photographie, Laszlo Moholy-Nagy.