Obliquité de l'écliptique
Julie Michel 2014
Obliquité de l'écliptique ou la création d'un tiers territoire, celui de la rencontre de deux pratiques, aux frontières desquelles s'inventent un paysage commun. L'alchimie de la rencontre se déploie lors de cette première exposition à la galerie Plothr, située sur les hauteurs de Rouen, dans un espace en pleine mutation.
Tirant du paysage environnant les matériaux pour les images visibles dans les pièces exposées, Fabien Saleil et Pia Rondé se saisissent des marqueurs spatio-temporel d'un projet utopique architectural échoué dont les dernières traces sont les amas de pierre et terrains vagues en attente d'une réappropriation immobilière vouée à devenir une zone de construction pavillonnaire. Ces reliques, vestiges des bâtiments explosés sont les décors que l'on retrouve sous forme de traces indicielles, notamment dans la série d'images représentant la vierge creuse, motif central de Structure fantôme.
Image iconique dans le champ religieux comme dans celui de l'histoire de l'art, référence à la madone drapée -dont ne subsiste ici que l'enveloppe- la vierge creuse évoque le spectre. Elle est le point de départ évanescent de la production de l'image dont la photographie redouble l'effet de délitement. Capturé par le sténopé, l'image -trace résiduelle d'une écriture de lumière- révèle une émanation directe presque magique du réel et se situe à la lisière d'une disparition opérant à différents niveaux. Définie par les endroit imbibés de liquide photosensible, l'image est fantomatique, constituée en partie de creux et de manque. Image-liquide, image-coulure où les tâches sont les seules trames possible de la révélation.
Structure fantôme contient à différentes échelles les questionnements inhérents à la reproduction, à sa source et son impossible origine, au simulacre, à l'objet et à sa trace, et ne cesse de nous rappeler ce qui est en jeu dans au sein du processus photographique. Les huit vierges sculptées, sont disposées en ligne horizontale, sur le même plan, sous leurs reflets captés par la photographie. La structure en bois minimale est le lieu où se joue l'apparition des images et des vierges. Sorte d'autel ou quasi temple gothique la structure fabrique la condition du regard et nous parle de l'émergence des formes qu'elle contient. Son ordonnancement précis semble être une tentative pour contrer l'instabilité toujours menaçante des images. La structure-sculpture dessinent et découpe l'espace.
Miroir liquide, Les dunes fondations, Bois mort, La jetée, ces autres pièces présentes dans la galerie sont la continuité de ce travail expérimental et radical autour de la question de l'image, de celles des ruines et des fondements. Elles mettent en jeux des histoires de rythmes. Des lectures différées (voir diffractées) de l'espace.
Obliquité de l'écliptique est une mise en perspective d'un système de relation. Elle correspond en mathématique et en astronomie, à la mesure de l'angle entre le plan de l'orbite terrestre et celle de l'équateur. Cet angle est utilisé par les astronomes pour suivre le mouvement des étoiles et des planètes dans le ciel.
L'imaginaire convoqué par ce terme sont des motifs à l'oeuvre dans les gravures de Pia Rondé. Mais, plus métaphoriquement, ce que convoque ce terme énonce aussi la mise en relation, le calcul juste pour l'enchevêtrement de deux démarches qui cherchent à s'alimenter de ce qu'elles seules ne peuvent fabriquer. On pourrait dire aussi : un sculpteur qui a besoin d'images et une dessinatrice qui cherche le volume. Comment montrer une image ou un volume en dépassant la pratique de l'espace habituel de l'exposition? Comment fabriquer les conditions d'émergence du regard posé sur cette image ou ce volume?
Par ces mises en relations plurielles, les rapports de temporalité se confondent et s'entrechoquent, le temps long associé au travail de gravure rencontre celui immédiat de l'image obtenue par le sténopé. La nécessité d'associer le contexte de production à la production elle même fût un leitmotiv pour penser le cadre de la résidence et l'exposition dans ce quartier de Rouen. Tour à tour laboratoire photographique et atelier de construction, la galerie et son extérieur proche fût le terrain de fabrication des images et des volumes. De ce fait, l'ancrage dans le lieu, ne s'est pas conçu comme une réponse conventionnelle à la conception d'une exposition mais comme une nécessité. L'extérieur confère en partie aux oeuvres leur matière organique, ce sont les bribes du monde environnant qui leur donne chair. Il était nécessaire de restituer une partie de cet emprunt dans un mouvement vers l'extérieur. Le regard comme réponse potentielle. L'espace d'exposition est exploité en prenant en compte les nombreuses ouvertures qu'il permet vers cet extérieur immédiatement visible. Les grandes vitres de la galerie permettent un aller-retour, un jeu de regard entre intérieur et extérieur. Des trouées. Le champ s'ouvre d'une possibilité pour le passant/ habitant d'opérer une lecture déplacée pour une appréhension avec ou sans angle modifié du territoire qu'ils occupent. En tout cas de poser un regard sur un travail plastique qui le questionne.